Tolérance zéro ?
Oui,
par respect pour les victimes
Cette
lettre provient d’un confrère diocésain très informé sur les sujets de
dérives
sectaires au sein de l’Église, qui souhaite garder l'anonymat, mais
qui m'a permis de la mettre en ligne. Cela pourra paraître étonnant à
certains
que j'en donne connaissance...
Mais ce n’est pas ainsi que l’Église
raisonne : dans le Code de Droit Canonique, il suffit de penser au
canon 212 § 2, qui stipule «
que les fidèles ont la liberté de faire connaître aux Pasteurs de
l’Église leurs besoins surtout spirituels, ainsi que leurs souhaits
».
Le § 3 va même plus loin, puisqu’il leur reconnaît «
le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés
leur
opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire
connaître
aux autres fidèles… ».
C’est pourquoi je me permets de donner
connaissance de l’essentiel de cette lettre, car j'en partage le point
de vue. Elle tranche sur le silence assourdissant de l'Église en
France, sur les questions afférentes aux dérives sectaires, où si peu
de
voix s'élèvent pour dénoncer l'inacceptable. Car la règle encore
aujourd'hui en usage est de s'en laver les mains, et de se défausser
avec de pieuses paroles et l'assurance de nombreuses prières...
D.A.
« Je pense
que tu as lu, il y a deux semaines, l’article paru dans la revue… Ne
crois-tu pas que l'Église catholique en France présente encore bien
des
signes de cette "culture du silence" révélée ces derniers temps par
la
prolifération d’affaires de pédophilie datant de plusieurs dizaines
d'années. Il faut rendre hommage au pape Benoît XVI d’avoir eu le
courage de faire passer la « tolérance zéro » comme règle de base
concernant ces déviations graves.
Il me semble que cette « tolérance zéro » devrait être appliquée
aussi
aux affaires de dérives sectaires à l’intérieur même de l’Église
catholique. Il y a, à l’évidence, encore bien des refus de regarder
la
réalité telle qu’elle est, et donc bien des « protections » qui
semblent « aller de soi »… Un grand nombre d’Évêques, en France,
sont
mal à l’aise avec ces questions, et manifestent, par leurs réponses
auprès des journalistes, également par le silence imposé à leurs
Conseils, une réelle incompétence pour traiter les affaires de
dérives
sectaires.
Je me pose bien des questions : quels sont les enjeux, quelles sont
les
raisons ? J’en vois personnellement deux qui m’apparaissent
clairement,
bien qu’il y en ait certainement d’autres.
Le fait que des Congrégations religieuses ou des Communautés
nouvelles
apportent par leur présence même un certain nombre de prêtres en
renfort au clergé diocésain est déjà, manifestement, un élément de
réponse valable. Certains évêques préfèrent « fermer les yeux », de
sorte à garder des prêtres… Ainsi s’installent des dérives sectaires
importantes qui font leur lot de victimes, auprès desquelles
l’Église
n’apporte, dans ce cas, aucun secours : on fait tout pour les
cacher.
Par ailleurs, on peut de demander si certains Évêques, issus de
Congrégations monastiques traditionnelles, ou de Communautés
nouvelles,
parviennent à mettre en œuvre certaines distinctions indispensables.
Les règles monastiques et les chartes communautaires internes ont
évidemment toute leur pertinence à l’intérieur même du monastère ou
de
la communauté. Mais ces Évêques, profondément marqués par ces modes
de
vie communautaires dont ils sont issus, ne sont-ils pas amenés —
sans
même en être totalement conscients — à mettre en place « hors
contexte
» (parce que totalement différent comme le contexte diocésain), des
modes de gouvernement ou des connivences qui peuvent finir par leur
masquer la réalité ? Ainsi les dérives sectaires peuvent-elles
prospérer, le nombre de victimes augmenter toujours plus… et les
manœuvres pour les cacher se développer avec cynisme.
Vers qui se tourner alors pour garder l’espérance ? La sollicitude
de
l’Église pour « les petits et les pauvres » n’est-elle pas
manifestement empressée pour les victimes du système économique
perverti dans lequel nous nous débattons : mouvements d’action
catholique, mouvements caritatifs, colloques, etc. ? Alors que pour
les
victimes de dérives sectaires en son propre sein, il semble qu’elle
ne
soit pas à la hauteur des tragédies engendrées et consenties. Par
ses
silences, ses lâchetés, ses bonnes paroles lénifiantes, ses
pirouettes,
ses compromissions, elle contribue, de fait, à enfoncer un peu plus
les
personnes dans leur détresse de victimes.
J’en suis profondément convaincu, la tolérance zéro s'impose envers
les
faits de dérives sectaires tout comme envers les faits de pédophilie
:
car ils proviennent du même mépris de la dignité humaine. Ils ne
doivent avoir aucune place dans l’Église du Christ.»
Oserai-je ajouter ceci, concernant le parallèle entre les victimes
de la pédophilie et les victimes des dérives sectaires... En février
2012 a eu lieu à Rome, à l'Université Pontificale Grégorienne, un
symposium qui a réuni des responsables de diocèses et de congrégations
religieuses du monde entier, pour une réflexion cohérente sur la crise
des abus sexuels. Un des objectifs de ce symposium consistait à donner
la
parole aux victimes de la façon la plus appropriée... Voici par
exemple le
témoignage de Marie Collins qui a été donné publiquement au cours de
ce symposium.
***
Verra-t-on un
jour s'instaurer dans
l'Église la même
transparence pour donner la parole aux
victimes des dérives sectaires en son sein ? La réponse à
cette question n'est pas évidente.
En effet, les évêques qui font venir dans leur diocèse des Congrégations
marquées par de graves dérives ne sont pas prêts à revenir
sur leur décision lorsque les problèmes se font jour. Comme chacun
sait, par les temps qui courent, l'apport de quelques
prêtres supplémentaires dans un diocèse qui en manque n'est pas
négligeable...
On touche du doigt la façon dont ces communautés déviantes font des
évêques leurs otages et leurs "collaborateurs" (que ceux-ci le
veuillent ou non), leurs complices dans le cas de méfaits couverts par
l'autorité épiscopale, obligés qu'ils sont pour les avoir demandés et
acceptés, de les protéger et de les défendre lorsque les
dysfonctionnements, les méfaits, et les
délits apparaissent (et leur sont dénoncés par d'autres).
Il y a donc encore du chemin à parcourir... Mais le temps qui passe
est
l'allié de la vérité. Dans la société médiatique où nous vivons,
l'usage de l'internet nous entraîne vers une époque où plus rien ne
pourra rester caché... Préparons-nous donc à bien des explosions (et
des purifications) dans les mois et les années qui viennent...
D.Auzenet