Au milieu des soucis apostoliques, saint Paul exhortait ainsi : « Un temps viendra où l'on ne supportera plus l'enseignement solide, mais, au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d'entendre du nouveau. Ils refuseront d'entendre la Vérité pour se tourner vers des récits mythologiques » (2 Tm 4, 3-4). Conscients du grand réalisme de ses prévisions, avec humilité et persévérance vous vous efforcez de correspondre à ses recommandations : « Proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps avec une grande patience et avec le souci d'instruire » (2 Tm 4, 2).
(Benoît XVI, discours aux Évêques de France réunis dans l'hémicycle Sainte-Bernadette, à Lourdes, le dimanche 14 septembre 2008).

"Rien n'est voilé qui ne sera dévoilé, et rien n'est secret qui ne sera connu" (Jésus, Mt 10, 26).

Pastorale Nouvelles Croyances
et Dérives Sectaires 72

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La recherche des guérisons
un salut par la santé ?



Entretiens entre Germain Maps journaliste à Radio Présence, et sœur Marie-Ancilla moniale dominicaine à Lourdes.
© Sœur Marie-Ancilla, o.p.    http://mancilla.op.free.fr



G. M. Qui ne souhaite pas être guéri de quelque chose, d'un mal quelconque, qu'il soit physique, spirituel ou psychologique ? et il y a dans ce domaine des choses qui se développent et en particulier ce qu'on appelle l'ontothérapie pratiquée dans certaines communautés nouvelles — entre autres —, mais pas seulement. De quoi s'agit-il ?

M. A. L'ontothérapie, c'est un terme qui a été créé de toute pièce. Créer un terme dans le domaine de la vie spirituelle, est le symptôme d'une pensée nouvelle, reflète une quête. Si l'on n'a aucun mot qui puisse exprimer ce qu'on cherche, cela prouve que quelque chose émerge, qui n'est peut-être pas dans la tradition telle qu'elle a été véhiculée jusque là. En décomposant le mot, on s'aperçoit qu'ontothérapie a été forgé à partir de mots grecs ; il veut dire : guérison de l'être. Jusqu'à présent, on parlait d'ontologie. C'était une parole sur l'être, il s'agissait même plus précisément d'une contemplation de l'être, d'accueillir l'être, de le recevoir. Tandis que là, on cherche à le guérir et immédiatement. Il faut commencer par se demander si l'être est malade pour avoir à être guéri ? C'est déjà un premier problème. L'être est donné par Dieu. Il y a des choses : elles sont ou elles ne sont pas, mais leur être n'a pas besoin de guérison.


G. M. L'être n'est donc pas sujet de guérison ? L'être est ou n'est pas. Point final ?

M. A. Oui, on ne va pas chercher à guérir l'être. Comme il y a eu certaines petites observations et réclamations, cette doctrine nouvelle a changé de nom. « Guérison de tout l'être » a remplacé « ontothérapie ». Mais le piège est simplement déplacé. En fait il ne s'agit pas de l'être mais de ce qui en nous est sujet au changement, à la dégradation. Vouloir guérir tout l'être, c'est donc vouloir être super-puissant ! Qui peut guérir dans tous les domaines, donner des conseils dans tous les domaines, que ce soit physique, psychique, spirituel. Nous trouvons ici la démarche holistique qui sous-tend tout le courant psycho-spirituel.
Avoir un pareil pouvoir de guérison, c'est plus que se mettre à la place de Dieu. Surtout que la guérison, elle est toujours progressive, sauf cas de miracle. Une voie marche chez l'un et ne marche pas chez l'autre, c'est donc très proportionné à des cas particuliers ; en faire une doctrine universelle, c'est vraiment un orgueil démesuré !


G. M. On parle même de guérisons qui iraient avant la naissance, dans le ventre de la maman déjà, puisque, paraît-il, certaines blessures portées par les parents rejaillissent sur l'enfant qui va naître ?

M. A. Oui, ça c'est tout à fait exact : ça montre que l'embryon a la possibilité d'être sensible à des tas de choses à commencer par ce qui se passe dans le monde extérieur. On peut citer le cas de Mgr Gihka, un roumain, dont la mémoire avait été éveillée très très tôt : il se souvenait même du nez d'une personne qui était sur son berceau, et qui avait des proportions énormes ! c'est resté gravé dans sa mémoire pour toute sa vie. Il l'avait vraiment enregistré. Donc là, ça existe réellement. Cela peut être vrai de biens d'autres choses.


G. M. Est-ce qu'on peut prétendre aller jusque là, en proposant des thérapies ? des guérisons ?

M. A. J'avais lu un article, où un médecin montrait comment justement il explorait toute cette partie de la vie d'un individu, avant sa naissance. Mais c'est la conclusion qui ne m'avait pas trop plu : parce qu'en guérissant, il pensait que c'est là qu'il était le plus proche de Dieu. Dieu est avant tout pour lui un guérisseur. Mais il y a plus grave, car une véritable discipline s'est constituée, qui vise à trouver systématiquement dans les ancêtres la cause de son mal être ; cette doctrine pseudomédicale s'impose de plus en plus en France dans un amalgame psychospirituel. Les Béatitudes, par exemple, diffusent un livre du Père Maximilien-Marie Duten, intitulé Méthode de prière pour la guérison de l'arbre généalogique. La Conférence des Evêques de France a fait paraître une note doctrinale, le 19 janvier 2007, pour éclairer la question de l'arbre généalogique et de la guérison des racines familiales par l'eucharistie. Mais il faut dire qu'elle a été si discrète qu'elle n'a eu aucune conséquence concrète. On trouve sur internet des prières pour guérir l'arbre généalogique, des propositions de messes dites pour la guérison de l'arbre généalogique — un trentain grégorien de guérison de l'arbre généalogique à 250€ ! —, et dans le cadre de retraites des centres chrétiens qui proposent un travail de guérison transgénérationnelle. Comment ne pas évoquer ici les dégâts causés par Bernard Dubois, membre de la communauté des Béatitudes, qui invite les retraitants à visiter leur passé jusque dans leur vie intra-utérine pour y retrouve la blessure originelle ?


G. M. Toutes ces foules qui viennent à Lourdes depuis si longtemps, qu'est-ce qu'elles cherchent sinon une guérison, devant la Grotte ?

M. A. Oui, effectivement, il y a toute une piété populaire qui est en quête de guérison. Et il ne faut pas trop vite mépriser la quête de guérison. Mais reste à savoir ce qu'on en fait. Est-ce que la guérison est un signe de Dieu qui provoque à la conversion, est-ce que c'est le signe de la miséricorde de Dieu ou est-ce que c'est un but en soi qui est la condition sine qua non pour faire une démarche spirituelle ? Dieu devient alors à notre service.


G. M. Pouvez-vous donner un exemple de l'évangile, parce que l'évangile est truffé d'histoires de guérison, non ? C'est d'ailleurs une des activités principales de Jésus pendant le cours de sa vie mortelle…

M. A. Oui, il a guéri une prostituée, d'une certaine façon ; il a guéri des lépreux qui étaient mis au banc de la société. Donc il a guéri. Mais ce qu'il propose, c'est la foi et justement quand certains s'arrêtent à la guérison, eh bien finalement, Jésus est déçu. Il a fait quelques guérisons comme signes vraiment de ce qu'il apportait, du Royaume présent parmi nous. Mais il n'est pas venu pour être le thérapeute bon marché — évidemment, là, il n'y a pas de consultations psy à payer, et comme souvent elles ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, il y a tout avantage. Un thérapeute super-puissant, qui a toutes les compétences, à qui on fait une confiance infinie, est très avantageux ; mais Jésus ne s'est jamais présenté comme ça ! Il annonce le Royaume, il annonce son Père et il donne quelques signes sur le chemin, comme les guérisons. On le voit bien avec l'aveugle-né : Jésus le guérit pour montrer qu'il est la lumière qui vient dans le monde. Donc la guérison n'est pas le but ultime.


G. M. Peut-on évoquer cette histoire des dix lépreux ? Un jour, il guérit dix lépreux, puis il y en a un seul qui revient pour remercier. Alors que dit-il à ce moment-là ?

M. A. Eh bien justement, il y en a un seul qui vient rendre gloire à Dieu. Et c'est ce que le Christ désirait. Les autres, la guérison achevée, repartent chez eux. Ils n'ont pas fait la démarche de foi, ils n'ont pas reconnu en Jésus celui qui était le tout de leur vie, celui qui venait leur apporter la vie véritable. Ils en sont restés au petit bienfait qu'ils avaient pris au passage et ça leur a suffit. Ils n'ont pas accédé au salut que Jésus voulait leur donner, et qu'il est lui-même.


G. M. Donc, on a beau être guéri, ce n'est pas forcément profitable en terme de vie, de vie spirituelle ?

M. A. Non, il y a des gens qui sont en parfaite santé et qui au niveau de la vie spirituelle n'ont jamais découvert ce que pouvait être la charité. Ce qui est, quand même, la valeur essentielle ! Mais si la guérison met sur le chemin de la miséricorde de Dieu, si elle conduit à donner un pardon qu'on a reçu de Dieu gratuitement, si elle conduit à aider quelqu'un, alors elle peut devenir chemin de vie spirituelle, mais de soi elle n'est pas le but de la vie spirituelle.


G. M. Revenons à cette question de la guérison de tout l'être, qui est à votre avis une prétention très orgueilleuse. Bien des gens peuvent en être choqués, d'autant plus qu'il y a des groupes et des communautés très nombreuses qui le croient dur comme fer et pour qui c'est une chose très importante ?

M. A. Oui, mais je pense qu'il faut être réaliste. Guérir tout l'être, ça suppose d'avoir toutes les compétences pour guérir le corps, pour guérir le psychisme, pour guérir l'âme — et encore de quelle âme est-ce qu'on parle ? Est-ce que c'est l'âme immortelle, est-ce que c'est l'âme principe de vie biologique, est-ce que c'est l'âme qui a pour vocation de pouvoir un jour vivre de la vie de Dieu en présence de Dieu ? Vous voyez que déjà pour les termes, on ne sait pas très bien ce qu'on y met dedans. Alors avant de vouloir guérir tout ça, il faudrait au moins savoir de quoi il s'agit. Et puis je connais des psychiatres qui sont quand même gênés que quelque chose qui demande autant de rigueur au niveau de la profession soit mêlé à n'importe quoi, utilisé avec une vulgarisation qui finalement est au détriment du respect qu'on doit finalement à ce qui est la connaissance que quelqu'un a pu acquérir. Sans parler du respect dû à Dieu !


G. M. Quel est le fondement de ce genre de pratique ?

M. A. Pouvoir guérir tout l'être ? Je pense d'abord que c'est un mauvais regard sur la vie spirituelle. Commencer par faire tout ce qu'on peut pour guérir, en utilisant les moyens scientifiques existants c'est, de soi, tout à fait respectable. Mais, c'est la finalité qui ne va pas : on préconise de commencer par se connaître soi-même à l'aide de la psychologie… ou de l'ennéagramme par exemple, de connaître les autres, d'être dans de bonnes relations avec les autres, de rechercher le bien-être psychologique, physique etc. ; puis en progressant, dit-on, on arrive jusqu'à Dieu qui va reprendre tout ça dans une magnifique synthèse. Mais on oublie que le chemin spirituel est diamétralement opposé. C'est une grâce qui nous est donnée gratuitement dans le cœur, Dieu qui touche notre cœur par sa Parole, par un événement. Et ça va se répercuter là, effectivement, sur tout notre être. Mais la grâce de Dieu va du plus profond, le cœur, jusqu'à l'extérieur. Et c'est un long chemin qui prend toute la vie. Si, grâce à des techniques, on arrive à enlever certains obstacles au mal-être, tant mieux. Mais la démarche spirituelle est autre : elle part du haut vers le bas si l'on peut dire, du dedans vers l'extérieur, et non pas du bas vers le haut, de l'extérieur vers l'intérieur. La première perspective est spirituelle, la deuxième est pélagienne.


G. M. Le « pélagianisme » est une hérésie qui date d'il y a déjà de nombreux siècles, n'est-ce pas ?

M. A. Oui, disons de la fin du IVe-Ve siècle. Pélage disait : à la force du poignet, l'homme peut se sauver. Aujourd'hui on dit : à la force des techniques de guérison, l'homme marche vers le salut. C'est quand même assez cousin comme pensée, bien que l'habillement soit différent. Il y a dans les deux cas cette prétention de l'homme à pouvoir se sauver par lui-même. Et paradoxalement, en même temps, on fait appel à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Sa doctrine spirituelle est interprétée ainsi : on se met sous le soleil de Dieu et Dieu fait tout. C'est sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus déformée, parce qu'elle a quand même pas mal trimé : pour faire des pas en avant, elle se cramponnait à la rampe de l'escalier : c'était quand même pas sous le soleil de Dieu que ça s'est fait tout seul ! Il y a donc là une nouveauté : on allie deux réalités diamétralement opposées ! on veut finalement allier le quiétisme et le pélagianisme. C'est une nouvelle façon de chercher à aller vers Dieu par soi-même, sans que ce soit la grâce de Dieu qui nous mette sur la route. Guérir est devenu LE chemin vers Dieu !


G. M. Aujourd'hui cela porte un nom : le Nouvel Âge ?

M. A. Oui, le Nouvel Âge, mais aussi tout ce qui prolifère sous sa mouvance plus ou moins lointaine. Les « voyages » à base de peyotl, qui sont au cœur du chamanisme, sont aussi préconisés par certains comme source de guérison. Sans aller jusqu'à la drogue, beaucoup se tournent vers le psychogénéalogie, la méditation transcendantale, l'hypnose Ericksonienne, l'agapèthérapie, et tous les courants qui prennent leur racine dans le Système Gurdjeff, en particulier la pratique de l'ennéagramme que Gurdjeff a introduit en Occident. La santé psychologique est devenue la nouvelle condition pour progresser vers le salut, la nouvelle forme de la vie spirituelle.


G. M. On parle beaucoup aujourd'hui, non plus tellement du péché, mais de la souffrance. Est-ce qu'on n'aurait pas remplacé le péché par la souffrance ?

M. A. Je crois que là se situe un des problèmes clés qui sont à l'arrière des quêtes spirituelles actuelles, plus exactement psycho-spirituelles. Employer cette expression, c'est déjà le signe que le psychologique et le spirituel se fondent tellement qu'on ne discerne pas à quel plan on se situe. La disparition de la souffrance devient presque le critère du salut. La souffrance est considérée comme le point de départ du salut et sa disparition comme le cœur du salut. Drewerman, qui a fait couler beaucoup d'encre et de paroles en son temps, est peut-être présent là-dessous, parce que c'est un rejaillissement de sa doctrine sous une enveloppe qui paraît beaucoup plus catholique extérieurement. Mais alors, le Christ est-il venu pour supprimer la souffrance, ou le Christ est-il venu pour, justement, nous racheter du péché ? pour nous rétablir dans la relation de fils ? Le péché justement, c'est la brisure de la relation avec le Père. Alors, où est vraiment le point de départ du salut ? S'il faut supprimer la souffrance pour être sur le chemin du salut, on n'est plus catholique.


G. M. On parle aussi beaucoup de communautés thérapeutiques, d'évangéliser les profondeurs. Tout cela fait-il partie de la même chose ?

M. A. Je pense qu'à l'arrière, il y a un point commun, puis ensuite selon les personnes l'expression diffère. Oui, évangéliser les profondeurs, c'est le thème d'un livre célèbre de Simone Pacot, qui constitue un véritable succès de librairie ; mais si y on réfléchit, qu'est-ce que peut bien vouloir dire : évangéliser les profondeurs ? Jésus, lui, est venu pour évangéliser les cœurs. Les profondeurs psychiques ne sont pas le but de l'évangélisation. Cela n'a pas plus de sens que si on parlait d'évangéliser l'intelligence. Jésus est venu pour la personne, pour toucher la personne au cœur réel de son être, là où se tisse la relation à Dieu, là où elle est libre. Or l'inconscient échappe à la liberté.


G. M. Ceci dit, un mot sur ces fameuses communautés thérapeutiques, quand même.

M. A. Les communautés thérapeutiques, comme leur nom l'indique, ont pour but de guérir. Il faut distinguer deux sortes de communautés thérapeutiques. Comme vous les avez liées à l'évangélisation des profondeurs, je commence par celles qui se disent catholiques et qui se servent de la foi pour opérer une soi-disant guérison.
On prend un médecin particulier qui va être le Christ et on l'utilise en lien avec un psychiatre, un psychanalyste, — peu importe en fait, on ne cherche même pas trop ; l'important, c'est de faire l'amalgame. Alors le Christ, la charité, l'eucharistie, le sacrement de réconciliation, deviennent un peu une thérapie d'appoint. Mais est-ce qu'une communauté chrétienne peut être fondée sur la guérison ? peut-elle avoir pour mission de rétablir les blessés de la vie, de les guérir en instrumentalisant la foi ? Là ça paraît un peu extraordinaire. Une communauté chrétienne, c'est avant tout une communauté qui vit de la vie du Christ. S'il y a des médecins compétents, qui mettent leur compétence au service des blessés de la vie, c'est louable, mais la découverte du Christ ne peut être utilisée au service de la thérapie. On court le danger d'instrumentaliser la foi, comme le soulignait le P. Flipo dans une interview.


G. M. Il y en a pourtant qui sont célèbres et qui, je dirais, marchent très bien ; je pense à certaines communautés qui prennent en charge des garçons ou des filles drogués, aux portes de la mort et qui les remettent debout ?

M. A. On appelle aussi communautés thérapeutiques, des centres où des personnes gravement atteintes réapprennent la vie sociale : les repas en commun, le travail, etc. Ces communautés n'ont pas forcément une appartenance confessionnelle, mais des catholiques en ont certaines en charge et essaie de faire faire un chemin vers le Christ à ceux qui sont blessés. L'important, c'est de ne pas vouloir que la prière ou la foi remplace les médicaments ! Ce serait encore une façon de mélanger la dimension médicale avec la spiritualité, pour faire un amalgame et mettre le Christ au service de la guérison en tant que guérison. Il y a toujours eu des membres de l'Église qui s'occupent des pauvres, qui s'occupent des blessés, qui s'occupent des malades, qui s'occupent des handicapés. Et c'est le témoignage de la charité, porté par des personnes compétentes qui viennent aider, chacune selon son savoir-faire, qui est premier. Cela a toujours existé dans l'Église. Ce qui est dangereux, c'est l'amalgame. Vraiment, c'est une création moderne et qui n'est pas conforme au chemin spirituel. Il faut respecter les compétences de chacun et ne pas croire qu'on a tout pouvoir. On revient un peu à ce qu'on disait précédemment. On voit le résultat que cela a donné dans certaines communautés nouvelles… Le slogan était à peu près ceci : Dieu guérit, donc nous pouvons accueillir n'importe quel malade psychique dans la communauté : la communauté, de par sa composition, est guérissante. Mais trente ans plus tard, on constate des déviations très graves, dont la pédophilie n'est qu'un cas parmi d'autres.


G. M. Donc vouloir faire faire un chemin de guérison à quelqu'un à coup de chapelets ou à coup d'expositions du Saint-Sacrement, ou à coup de rituels, de prière de tous ordres, pour vous ce n'est pas très sain ?

M. A. Là, il faut rentrer dans du particulier. Il faut examiner le cas de chacun. Pour quelqu'un, il se peut que l'adoration du Saint-Sacrement lui fasse trouver une route vers le Christ et l'aide dans le même mouvement à guérir. Mais je dis que c'est du particulier. Et ce n'est pas en universalisant du particulier qu'on crée une doctrine spirituelle. Il faut surtout dissocier les deux domaines : la guérison, c'est de l'ordre du particulier. Il suffit de voir les médicaments : ce qui guérit l'un ne guérit pas l'autre et vice versa. Donc là, c'est l'écoute de chaque cas particulier qui importe ; chacun a son chemin, mais il ne peut pas s'appliquer au voisin, parce que pour l'autre il sera peut-être très dangereux d'emprunter cette voie.


G. M. Et un handicapé lourd, ne peut-il pas être guéri, lui ? ne peut-il pas être accueilli dans une communauté thérapeutique ?

M. A. Ce sont peut-être les handicapés physiques qui sont le test pour savoir ce qu'il en est de la quête de guérison. Un handicapé dans une communauté thérapeutique qui prétend guérir tout l'être, eh bien il fait éclater le système. Je crois qu'on peut parler de système. Ça ne peut pas tenir la route. Mais dans une communauté qui prend chacun comme il est, et qui sait que c'est la charité, la capacité d'accueillir Dieu qui est l'essentiel de la vie spirituelle, là un handicapé peut être accueilli tel qu'il est. Il est peut-être le critère du réalisme.


G. M. … la pierre d'achoppement. Parce qu'une personne handicapée, une personne qui porte un lourd handicap, on va dire : on ne peut pas t'accueillir, ce n'est pas notre vocation…

M. A. Il faut distinguer le handicap physique et le handicap psychique, même si les sortes de handicaps font toucher du doigt que guérir tout l'être n'est pas possible à l'homme, que c'est une prétention sans mesure. Si c'est ce qu'on cherche, il faut mieux fermer les yeux et fermer sa porte plutôt que de courir à la catastrophe. On peut ainsi bâtir des doctrines soient disant thérapeutiques, mais tant qu'on n'a pas intégré les limites de notre condition d'homme, tant qu'on n'a pas accepté et de faire un chemin dans ces limites, avec ces limites, on est dans l'illusion. Pour accueillir des handicapés physiques ou psychiques, il faut des communautés spécialisées, et pas simplement une vie de communauté chrétienne comme on l'entend habituellement.


G. M. Alors la communauté chrétienne, qu'est-ce que c'est ?

M. A. La communauté chrétienne, c'est d'abord une communauté de pécheurs et non pas une communauté de blessés de la vie. Là, on est dans l'universel : tous nous sommes pécheurs devant Dieu. Blessés, chacun selon son mode ; pécheur : tous. Un peu plus, un peu moins. Mais fondamentalement il y a une rupture avec Dieu. Alors le grand défi de la communauté chrétienne, c'est que tous pécheurs, tous finalement en rupture avec Dieu, donc en rupture avec notre frère, lorsque nous reconnaissons Dieu pour notre Père, nous commencions à cheminer sur la voie de la réconciliation, parce que portés par un même amour reçu : l'amour du Père ; et non pas parce que nous avons des techniques en pointe pour arriver à guérir le psychisme, les profondeurs, etc. Ce n'est pas pour dire qu'il ne faut pas le faire, mais la communauté chrétienne ne se fonde pas là. C'est : Caïn et Abel, est-ce qu'ils vont devenir des frères de la première communauté chrétienne de Jérusalem ? Voilà l'enjeu.


G. M. Quand on considère les choses de cette manière, est-ce que ce n'est pas justement libérer également la pratique du pardon de façon très régulière, parce que sinon il n'y a plus rien à pardonner parce qu'il n'y a pas d'occasion ?

M. A. C'est-à-dire que le pardon aussi, on peut le voir de deux façons. Est-ce que le pardon, il faut le recevoir pour pouvoir le donner ? ou est-ce que le pardon fait partie d'une thérapie humaine ? De façon schématique, on commence par ce constat : j'ai un bourreau qui m'a blessé — on emploie quelquefois ce mot-là pour des choses qui sont assez anodines : une parole de remontrance va être considérée comme la blessure de la vie et il va falloir des guérisons de la mémoire et bien d'autres manœuvres thérapeutiques pour arriver à y mettre un terme. Alors puisque je suis la victime, du haut de ma grandeur de victime je pardonne à mon bourreau… tout en coupant les ponts avec lui ! Il n'y a pas besoin du Christ pour faire une opération semblable parce que des tas de personnes peuvent se mettre sur la liste des victimes, pas de problème. On oublie d'ailleurs que les premières victimes sont celles qui sont traitées de bourreaux. Mais savoir que je suis pécheur, donc que moi-même, je ne suis pas tout blanc et le voisin tout noir, que je suis pécheur, que je reçois le pardon et que ce pardon reçu je le partage : ça c'est le signe de la communauté chrétienne.


G. M. Et le pardon, reçu et donné, a-t-il une valeur thérapeutique ? Peut-être pas à la manière dont vous venez de nous expliquer les autres thérapies ?

M. A. Non, parce que c'est la charité qui s'enracine dans le cœur, c'est la vie de Dieu. Et alors la vie de Dieu qui s'enracine au plus profond de notre cœur rejaillit sur tout ce qui en nous va en sens inverse : ce qui en nous se replie sur soi-même, se détourne des autres. Tout cela va reprendre une bonne direction. C'est comme un arbre : si l'on attache un caillou au bout d'une branche, la branche se courbe vers le sol. Si on coupe la ficelle qui attache le caillou, la branche va remonter et on a de nouveau l'arbre dans toute sa splendeur, les branches levées vers le ciel. Pour nous aussi, il y a des tas de choses qui pourront se libérer, si on laisse la charité rentrer en soi. Mais la charité n'est pas le fruit d'une thérapie, la charité est un don de Dieu.


G. M. Donc, c'est le cœur qui va être guéri et non pas nos blessures puisque le cœur peut aimer, avec ou sans blessures ?

M. A. Justement, la charité nous est donnée au cœur de notre péché, et la conversion qui s'opère pourra aider peut-être à guérison de blessures. Mais il faudra peut-être une aide extérieure spécialisée. La charité libère d'abord le cœur, non pas la blessure. Le chemin spirituel ne commence pas par la blessure, il commence par le don de Dieu dans notre cœur. Peut-être que certains seraient tentés de dire de quelqu'un de psychiquement défaillant : il n'est pas chrétien, regardez comme il est tordu ! Qui peut connaître le travail de la charité dans le cœur de l'autre ? Quelqu'un sera peut être très blessé avec des réactions plutôt surprenantes et désagréables pour l'entourage, alors que la charité est déjà à l'œuvre dans son cœur. « Ne juge pas », dit l'évangile.

© Sœur Marie-Ancilla, o.p.
http://mancilla.op.free.fr


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